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Mon père était un rêveur

Héritage familiale

Il collectionnait les livres d’aventure et des romans de science-fiction. C’est moi qui ai récupéré sa bibliothèque dont une partie remplie maintenant mes étagères en Suisse. Tout comme sa carte de marin et le « certificat de baptême de mer», le jour où le jeune matelot a traversé l’équateur pour toute première fois.

A l’époque soviétique, avec le rideau de fer, très peu de personnes pouvaient espérer voir le monde. Les équipages des gros pétroliers et de cargos maritimes avaient cette liberté inouïe. Dans ma région natale au sud de la Russie, au bord de la Mer Noire, tous les garçons rêvaient d’être admis dans l’école maritime, au défaut de devenir cosmonautes. Rotterdam, Alexandrie, Gênes, Mariel au Cuba, Calao au Pérou…

J’aurais aimé le connaitre. Le connaitre en tant que personne : je pense que l’on aurait tellement de choses à se raconter…

Mes parents se sont séparés quand j’avais 5-6 ans (« maman, papa, vous êtes des grands et votre histoire vous appartient ») : mon père a dû abandonner la mer et revenir sur la terre ferme, cependant il n’a pas pu se réinventer. Après des années des combats, ma mère a baissé les bras, et ils se sont quittés.

Je l’ai revu une dernière fois à l’âge de 17 ans. Quelques minutes de discussion gênée lors d’une rencontre inattendue dans un parc, le jour de la veille de mon départ pour l’université de Moscou – du départ qui s’est avéré le pas définitif dans ma vie d’adulte. Comme une ultime bénédiction que n’en était pas une.

Il ne m’a pas reconnu ce jour-ci. Et pourtant, depuis toujours je portais en moi l’empreinte, la forme, le souffle, le rêve de cet homme.

Depuis l’adolescence, mon épaule gauche est plus haute que la droite, malgré tous les rappels de ma mère de me tenir droite – ma sœur ainée m’a dit après que mon père avait cet allure particulier. Son prénom commence par la même lettre que le mien (sans que personne ne fasse jamais le lien) et c’est un des épithètes de Mars dans la mythologie romaine. Je suis née le 1 mars. Mes chiffres préférés depuis toujours, c’est 11 et 22. La fête de mon père est le 22 mars (le jour de son saint), et il est mort le 11 mars…

Je le cherchais partout, pendant des années : dans ces livres, dans les souvenirs de ma famille, dans mes hommes… Quand j’ai commencé les constellations, je le croisais partout dans mon champ systémique. Et je me suis rendu compte que je ne cherchais pas seulement à l’avoir mon père, mais surtout à le sauver. Encore et encore. Sans espoir aucun de réussir…

Puisque je n’étais que sa fille. Son destin, c’était son destin. Il l’a choisi et il l’a géré comme il a pu.

Aujourd’hui, je suis en paix et en lien avec lui : je lui ai rendu sa dignité, et je m’incline devant sa force.

Sur sa pierre tombale, ma famille voulait graver une ancre. Mais aujourd’hui, quand je viens au cimetière pour lui apporter son Marlboro rouge et en griller une avec lui, je salue solennellement un petit voilier s’envolant vers l’infinie…

Bon vent papa. L’univers est à toi.

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